Les Cifre vues par une chercheure : « le secteur est prêt »

Publié le : 03 octobre 2019-Mis à jour le : 07 octobre 2019

Régine Scelles, professeure de psychopathologie à l’université Paris-Nanterre

Avez-vous l’habitude de recourir aux conventions Cifre ?

Non ! Ce dispositif était encore peu connu dans le domaine des sciences humaines et sociales, il y a 5 ans.
Jusqu’ici la pratique consiste surtout à encadrer des doctorants qui sont en réalité déjà salariés. Ce sont généralement des professionnels du médico-social qui ont une certaine expérience du terrain, et qui décident de préparer une thèse pour acquérir de nouvelles compétences ou se reconvertir. Ces salariés partagent leur temps entre leur vie professionnelle et la préparation de leur thèse, ce qui est très compliqué pour eux. Je pense que cette pratique va diminuer dans le futur, car les écoles doctorales sont de plus en plus désireuses que les doctorants soient financées et que les thèses ne durent pas plus de 4 ans, ce qui est impossible ou presque quand on travaille à temps plein. Donc le contexte est de plus en plus favorable au développement des conventions Cifre. Le secteur est prêt.      

Quel intérêt voyez-vous au dispositif des Cifre ?

Le premier intérêt pour le doctorant est financier. La convention Cifre lui permet de financer un travail de recherche correspondant au travail de thèse puisqu’il est salarié d’une organisation professionnelle. Ce dispositif Cifre est particulièrement intéressant pour les jeunes qui ont obtenu leur master. Il leur donne à la fois une connaissance du terrain et une formation par et à la recherche.
Pour le doctorant et le directeur de thèse, l’encadrement de la thèse est aussi un moyen d’inscrire cette collaboration avec l’organisation professionnelle dans la durée.

Quels sont les écueils à éviter ?

Il est très important de bien préciser les conditions dans lesquelles le doctorant va effectuer son travail de thèse. Il faut que le rôle et les responsabilités de chacun soient très clairs. Le temps de travail fléché sur la praxis et celui fléché sur la recherche doivent être clairement définis. La méthode, les outils doivent être clairement identifiés pour être certains que la mise en œuvre sera possible dans l’institution dans les conditions requises pour la thèse.

Dans mon domaine, la psychologie, la plupart des doctorants doivent intervenir sur le terrain pour collecter des données. Il est indispensable de veiller à ce qu’ils respectent un certain nombre de règles éthiques et déontologiques. C’est particulièrement vrai s’ils interviennent auprès de personnes vulnérables. De nombreuses questions se posent : sur le choix des personnes avec lesquelles les doctorants mèneront leur travail, sur la bonne distance à adopter, sur la confidentialité des données, sur la façon dont ils vont devoir rendre compte des données et de leur analyse, etc. Tout cela doit être bien précisé au départ et faire l’objet d’un accord écrit entre les parties pour éviter les problèmes futurs.

Enfin, il faut bien expliquer à l’employeur, avant de démarrer le projet, qu’on ne sait pas à l’avance quels seront les résultats obtenus. Trop souvent, consciemment ou non, les organismes sollicitent les chercheurs dans l’espoir que les travaux cautionnent leurs pratiques. C’est parfois vrai, mais ce n’est pas toujours le cas ! Le directeur de thèse est responsable de la qualité du travail de recherche accompli. Il est important que l’employeur du doctorant ait conscience, dès le départ, de cette exigence scientifique qui garantit la scientificité et l’indépendance des résultats.

Pour toutes ces raisons, il est préférable que les directeurs de thèse aient eux-mêmes une bonne connaissance du terrain.

Pourquoi n’y a-t-il pas davantage de Cifre dans le secteur médico-social ? Quels sont les freins selon vous ?

Il n’est pas possible de demander une subvention Cifre si le futur doctorant occupe son emploi depuis plus de 9 mois. Cette contrainte est un frein très important dans notre domaine, car, comme je l’ai dit, les personnes qui viennent nous voir pour préparer une thèse sont souvent des professionnels aguerris.

Par ailleurs, certains étudiants hésitent parfois à se lancer dans un travail de thèse après leur master, car ils craignent de ne pas pouvoir le valoriser auprès des professionnels. Il faut œuvrer pour que cela change et que le doctorat soit valorisé dans les conventions par exemple, mais aussi dans la fonction publique hospitalière et territoriale. Heureusement, tout cela est en train de changer.

 

Articles sur le même thème

Retour en haut