Communauté mixte de recherche : croire au travail coopératif

Publié le : 17 juin 2021-Mis à jour le : 17 juin 2021

En 2020, la CNSA a financé sa première communauté mixte de recherche. L’objectif de ces communautés ? Créer des ponts entre acteurs de la recherche et parties prenantes, accélérer la diffusion des connaissances et créer, très en amont, les conditions d’émergence de nouveaux projets de recherche participative. Illustration avec la communauté mixte de recherche sur les droits humains des personnes vulnérabilisées, portées par la coordination de la démarche Capdroits.

La communauté mixte de recherche, que vous portez avec le soutien de la CNSA, vise à structurer une démarche de recherche citoyenne sur l'exercice des droits humains des personnes vulnérabilisées par la vieillesse, la maladie, le handicap. Dites-nous en plus sur les origines de ce projet.

La démarche CapDroits est née lors de la préparation d'une conférence organisée par un collectif de chercheurs en sciences humaines et sociales (CONTRAST) (nouvelle fenêtre) autour du problème de la capacité à consentir et de la controverse suscitée par l’article 12 de la Convention relative aux des droits des personnes handicapées (nouvelle fenêtre). Au sein du comité scientifique et partenarial mis en place, des personnes concernées par les sujets abordés (tutelles, curatelles, soins forcés ou plus généralement la question des droits humains) ont interpellé les organisateurs sur leur nécessaire participation, aux côtés des chercheurs académiques, aux débats, invoquant ce besoin de dialogue dans un espace public et scientifique difficilement accessible.

Sur la base de cette demande de dialogue exprimée initialement par des militants, on a construit une démarche expérimentale de mise en forums des expériences et des savoirs concernant les difficultés à exercer ses droits et ses libertés, nommée Capdroits. Cette démarche articule les enjeux de débat public et de citoyenneté, à ceux de fabrication de connaissances.

À la fin de la première phase de ce projet, en 2018/2019, de nombreuses personnes associées à la démarche ont souhaité poursuivre l’expérience et capitaliser sur ce qui a été identifié comme des singularités du projet :

  • Création d’espaces où toutes les personnes concernées par la démarche ont voix au chapitre, y compris s’agissant de l’organisation concrète des choses au quotidien : c’est une chose de pouvoir s’exprimer, d’être entendu ; c’en est une autre de faire et de pouvoir agir ;
  • Capacité à créer du lien entre personnes venues d’horizons divers : il s’agit d’une démarche « vivante » qui se nourrit d’expériences plurielles ;
  • Possibilité d’un réel dialogue multipartite dans le respect des identités de chacun.

S’est alors engagée une réflexion pour accompagner le projet vers une nouvelle phase. Cette deuxième phase a pu démarrer en 2020, avec une envie d’y associer de nouveaux acteurs, et a reçu notamment le soutien de la Métropole de Lyon et de la fondation de France pour des durées courtes. L’appel à projets « Soutien à la structuration de communautés mixtes de recherche » de l’Institut pour la recherche en santé publique (IReSP – nouvelle fenêtre) a constitué une opportunité pour fédérer un collectif dans une temporalité plus longue. On a interrogé notre démarche passée au prisme de ce terme de « communauté mixte » et quelque part on s’y est reconnu.

La CNSA a pensé la communauté mixte de recherche comme un objet vivant susceptible d’être appropriée par des acteurs venus d’horizons divers. Racontez-nous votre conception de ces communautés, la manière dont elle prend forme dans votre projet, et ce qu’elle permet.

D’abord ce dispositif de soutien aux communautés mixtes de recherche nous sécurise avec la possibilité d’être soutenu sur quatre ans. Se lancer dans une telle démarche, y investir tant d’énergie, et avoir l’assurance de disposer de moyens pour agir, c’est très motivant.

Par ailleurs, en tant que démarche expérimentale, il est nécessaire de réfléchir à ce que l’on fait, à ce que l’on est en marchant, et  la communauté mixte rend possible ce mouvement de distanciation, et favorise une dynamique d’institutionnalisation de notre projet – même si à ce stade il faut considérer cette dynamique avec prudence.  

C’est aussi une possibilité d’élargir encore le cercle de discussion pour mettre en lumière la diversité des manières de faire de la recherche sur la question des droits humains et des personnes vulnérabilisées, en questionnant nos propres pratiques.

Plus généralement, on pourrait dire que la communauté mixte de recherche répond à une nécessité sociétale de dialogue pour développer une meilleure interprétation des droits humains et en faire une force de transformation des cadres institutionnels, des pratiques professionnelles en même temps que des vécus personnels. Pour autant, ce n’est pas une démarche qui se définit comme militante ; il s’agit plutôt de construire un langage commun, une possibilité d’échange, une attention conjointe sur les problèmes sans les regarder comme un intérêt particulier des uns ou des autres.

Concrètement, comment allez-vous travailler durant ces quatre prochaines années ?

Notre registre d’actions traduit un besoin de dialogue et de construction d’un langage commun. Il s’agit de manière assez ordinaire d’interroger la demande sociale, de faire de la recherche avec les citoyens, en ayant conscience de toutes les difficultés que cela constitue ; également et peut-être encore plus simplement de se rencontrer, de faire des rencontres, de discuter de productions communes.

Notre originalité vient du fait que ces actions seront conduites de manière mixte, et c’est cette mixité communautaire, avec toute l’ambivalence que recouvre cette expression, la tension qu’il introduit (une communauté n’est par définition pas mixte), que l’on va travailler, avec notre fil rouge qui est que la connaissance se produit de manière plurielle, polyphasique, y compris en dehors des sphères académiques et universitaires, au service des citoyens.

Ce qui caractérise la démarche c’est qu’elle se situe en marge du monde académique et de sa pratique importante et ordinaire du réseau de recherche, avec l’ambition de considérer des savoirs hétéroclites, nous poussant à sortir de notre zone de confort. Cette ambition s’incarne dans la mixité et se traduit notamment par une place importante des partenaires non académiques aux différents niveaux décisionnels.

Dites-nous en plus sur la manière dont ces actions pourront nourrir les acteurs du champ de l’autonomie.

Il est sans doute encore un peu tôt pour répondre à cette question, mais l’une de nos ambitions c’est de diffuser les connaissances issues de la recherche selon une double circulation, verticale (entre le local et l’international) et horizontale (entre les échelles de vécu). Il nous semble important d’articuler la complexité des vécus individuels aux principes universels tels qu’ils peuvent être portés par la Convention, d’accompagner la réflexion des acteurs, académiques ou non, autour du sens qu’ils donnent à leurs actions avec en toile de fond l’idée forte que la réflexion s’incarne dans la construction d’idéaux à plusieurs.
Par exemple nous avons organisé des rencontres avec des mandataires judiciaires. Au fil des échanges, le dialogue a conduit à replacer la question de l’autonomie comme un droit, au même titre que les autres. En bousculant le paradigme habituel de la protection juridique, les postures se transforment pour saisir les différents savoirs, les capacités, les initiatives des personnes. Il s’agit d’abandonner des postures encore trop descendantes pour se saisir pleinement des savoirs, des capacités d’initiatives et de coopération des personnes vulnérables.  

En juillet 2021, vous avez prévu le lancement officiel de votre communauté par l’organisation d’un premier évènement. Pouvez-vous nous en dire plus sur cet évènement et comment est-ce qu’il s’inscrit dans la démarche de votre communauté ?

Nous avons profité du premier semestre de l’année 2021 pour consolider les bases de la communauté, établir les liens entre les différentes équipes et membres. Nous lançons plus formellement la communauté mixte avec deux jours de rencontre, le CapLab, qui aura lieu le 30 juin et 1er juillet 2021.

Il s’agira d’une rencontre entre équipes de recherches (composées d'universitaires, de spécialistes de la relation d'aide et de personnes concernées par de fortes vulnérabilités) en vue de mieux connaître les travaux de chacun. Pour ce premier événement inaugural, nous avons choisi deux thématiques de travail au cœur de la communauté, la question de la capacité juridique à la lumière de la crise sanitaire (consentement et protocole sanitaire dans les établissements hébergeant du public), et les méthodes des recherches participatives. Cet événement est le premier d’une série, puisque 8 CapLab sont prévus durant les 4 ans du projet, chaque événement étant porté par l’une des équipes de la communauté dans un territoire différent. Également, cet événement est accolé à notre troisième conférence scientifique et citoyenne, dite Confcap2021 (nouvelle fenêtre), qui aura lieu juste après, le 2 et 3 juillet et qui interroge la notion « d'autonomie de vie ».

Pour terminer, si vous deviez donner un conseil à celles et ceux intéressés pour se lancer dans l’aventure d’une communauté mixte de recherche, quel serait-il ?

Qu'on peut être petit, mais avoir de belles ambitions ! Avoir envie de se projeter et de coconstruire une dynamique collective chronophage et longue ! Croire que les capacités se construisent en interdépendance et de manière coopérative, c'est-à-dire faire confiance à la volonté des autres chercheurs de coconstruire des savoirs au travers d’une multiplicité de regards.

Propos recueillis et mis en forme par Claudia Marquet, chargée de mission à la Direction scientifique, lors d’un échange en visioconférence réunissant une partie des membres de la coordination CoMix (cf encadré ci-après). L’échange, polyphonique, très riche, a fait l’objet d’un travail de synthèse, et parfois de reformulation, afin de délivrer, par ce passage à l’écrit d’une parole collective et plurielle, les principaux messages.

Contacts

Les membres de la coordination de la démarche Capdroits

Benoît Eyraud, MCF, Université Lyon 2 Centre Max Weber, sociologue,  
Stéphanie Wooley, chargée à l’international association ADVOCACY France, experte d’expérience en santé mentale
Iuliia Taran, juriste, spécialiste en ingénierie de l’innovation pour l’autonomie
Isabel Miranda, curatrice, protection des majeurs et gérontologie
Bernard Meile, vice-président ADVOCACY France, expert d’expérience en santé mentale
Valérie Lemard, vice-présidente de l’association ESQUI, experte d’expérience en santé mentale
Jacques Lequien, auto-représentant, Travailleur ESAT retraité, expert d’expérience sur la déficience intellectuelle
Farbod Khansari, délégué général du CFHE, études du handicap
Sylvie Daniel, cadre socio-éducatif, action sociale
Stèf Bonnot-Briey, auto-représentante, experte en autisme

 

 

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