Les résultats d'une expertise collective sur les déficiences intellectuelles

Publié le : 01 mars 2016-Mis à jour le : 08 mars 2022

La CNSA a confié à l'Inserm la réalisation d’une expertise collective sur les déficiences intellectuelles afin de disposer des connaissances scientifiques récentes issues des recherches internationales et pluridisciplinaires sur le sujet. Les résultats étaient présentés ce 1er mars à l'occasion d'une journée ouverte par Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées et de la Lutte contre l’exclusion.

La déficience intellectuelle (DI) fait référence, selon l’Organisation mondiale de la santé et d’autres autorités reconnues, à un déficit de l’intelligence (capacité sensiblement réduite de comprendre une information nouvelle ou complexe et d’apprendre et d’appliquer de nouvelles compétences) ainsi qu’à des limitations du fonctionnement adaptatif, ces limitations apparaissant au cours de la période développementale. La déficience intellectuelle est fréquente puisqu’environ 1 à 2 % de la population seraient concernés. L’explosion récente des connaissances, tant sur les causes des DI que sur les processus cognitifs et adaptatifs sous-jacents, permet de mieux appréhender le fonctionnement des personnes avec une déficience intellectuelle et d’envisager des stratégies adaptées d’apprentissages, d’accompagnements et de soutiens.

La CNSA a confié à l'Inserm la réalisation d’une expertise collective afin de disposer des connaissances scientifiques récentes issues des recherches internationales et pluridisciplinaires sur la déficience intellectuelle. La démarche d’expertise collective a permis de dresser un bilan des données scientifiques dans les domaines suivants : définition et épidémiologie ; évaluation des compétences et des déficiences de la personne ; accompagnement et soutien durant les principales étapes de la vie.
Un groupe multidisciplinaire de 12 experts, chercheurs et cliniciens, a été constitué en tenant compte de la complémentarité des disciplines scientifiques représentées. L’Inserm a constitué un fonds documentaire de 2 500 références qui ont été soumises à l’analyse critique du groupe d’experts.

Parmi les différents constats de l’expertise, l’évaluation des compétences et des limitations de la personne avec une DI ainsi que des besoins de soutien reste souvent incomplète. Aussi, parmi les recommandations issues de ce travail, les auteurs préconisent de mener une réflexion approfondie quant à l’opportunité de développer des centres de ressources en déficience intellectuelle. Ces structures rassembleraient les compétences nécessaires, sous la forme d’équipes pluridisciplinaires (médecins généralistes, pédiatres, gériatres, spécialistes de la douleur, neurologues, psychiatres, psychologues, infirmiers, éducateurs spécialisés, orthophonistes, assistants sociaux…) pour assurer une évaluation multidimensionnelle des capacités et des limitations d’activité de la personne, d’évaluer ses besoins de soutien afin d’organiser l’accompagnement requis et d’apporter une aide concrète et coordonnée qui pourrait s’inscrire tout au long du parcours de vie de la personne avec une déficience intellectuelle et de sa famille.

Déficiences intellectuelles : Principaux constats

En France, la déficience intellectuelle légère pourrait concerner entre 10 et 20 personnes pour 1 000 soit à 1 à 2 % de la population. La déficience intellectuelle sévère est quant à elle retrouvée chez 3 à 4 personnes pour 1 000.

La prévalence de la déficience intellectuelle atteint un plateau à l’âge de 15 ans en raison du temps nécessaire pour son repérage. Toutes les études montrent une prévalence plus élevée chez les garçons que chez les filles. Le contexte socio-économique joue un rôle certain sur la prévalence de la déficience intellectuelle légère (DIL), avec une prévalence plus faible de la DIL dans les milieux socio-économiquement favorisés. Cet effet est beaucoup moins important pour la prévalence de la déficience intellectuelle sévère (DIS). Parmi les facteurs de risque, la DI est plus fréquemment observée chez les enfants nés prématurés, et chez ceux présentant un retard de croissance intra-utérin. Une alcoolisation excessive durant la grossesse serait la cause environnementale la plus fréquente.

Le repérage repose sur la détection de retards de développement en population générale et le suivi de populations à risque. Les déficiences intellectuelles sont à distinguer d’une simple variante du développement ordinaire. Des outils de dépistage existent, mais sont encore peu utilisés.

Plusieurs outils sont disponibles en France. Plusieurs questionnaires parentaux et échelles de développement précoce ont été développés par différentes équipes, mais ces instruments de dépistage restent peu utilisés en pratique pédiatrique et en médecine générale courante en France ou à l’étranger.

Le diagnostic repose sur la double évaluation des capacités intellectuelles et des comportements adaptatifs. Il doit être établi sur la base de données recueillies à l’aide d’outils récents et validés.

L’évaluation des capacités intellectuelles est une étape indispensable au diagnostic de déficience intellectuelle. Elle permet de la distinguer des troubles spécifiques des apprentissages. L’évaluation des capacités adaptatives est essentielle. Elle diminue le risque de sur-diagnostic. Elle est également utile pour orienter le projet d’accompagnement de la personne.

L'origine des DI reste indéterminée pour près de 40 % des cas.

Les causes de déficiences intellectuelles peuvent être liées à l’environnement (infections, intoxications dont celle liée à l’alcool, etc.) ou d’origine génétique, mais les DI idiopathiques (sans cause connue) représentent le groupe majoritaire (35-40 %).Parmi les causes identifiées, les causes génétiques sont les plus fréquentes et très diverses.

Les problèmes de santé sont plus fréquents que dans la population générale, et pourtant sous-diagnostiqués et mal pris en charge.

Les besoins de soins médicaux des personnes avec une DI sont nettement supérieurs à ceux de la population générale. Certains problèmes de santé courants (bucco-dentaires, troubles de la vision, de l'audition) sont plus fréquents, moins bien dépistés et soignés chez les personnes avec une DI. Parmi les autres pathologies plus fréquentes chez ces personnes, on retrouve de forts taux de maladies coronariennes, d’épilepsie, des troubles du sommeil, etc. Certains cancers seraient aussi plus fréquents dans la population présentant une DI.

Mais la santé des personnes présentant une DI peut être améliorée par une meilleure prise en compte du handicap, une coordination des soins et la formation des professionnels.

Plusieurs expériences dans différents pays démontrent clairement l’impact bénéfique de bilans médicaux systématiques sur la santé des personnes avec une DI. Plusieurs gouvernements (Australie, Grande-Bretagne) ont pris des mesures fortes pour mettre en oeuvre un bilan de santé annuel par le médecin traitant, avec actes bonifiés ou par les centres de soins primaires. La coordination du parcours de soins a été développée en France pour d’autres pathologies (Alzheimer, Cancer), mais pas pour les personnes avec une DI.

Intervention et éducation précoces favorisent le développement.

Les travaux existants montrent qu’il est capital de renforcer les compétences de l’enfant, de mettre l’accent sur ses capacités d’agir et d’être autonome, plus que sur ses « manques ». La recherche dans le champ des apprentissages a montré que les personnes avec une DI peuvent progresser à tout âge, le niveau de performance atteint dépend des aptitudes intellectuelles et des opportunités offertes. Il est aussi nécessaire de revaloriser les parents dans leurs compétences parentales pour qu’ils parviennent à voir leur enfant comme un enfant en développement et pas seulement comme un enfant handicapé.
Par exemple, chez l’enfant avec une DI, l’acquisition du langage peut être favorisée par des interventions précoces et ciblées. Les interventions destinées à promouvoir la communication préverbale font l’objet d’un nombre croissant d’études cliniques. L’idée est qu’en augmentant la fréquence, la lisibilité et la complexité des interactions fondées sur des gestes, des regards coordonnés et des vocalisations, l’enfant apprendra plus rapidement à communiquer verbalement. Les modes d’intervention axés sur la communication verbale consistent quant à eux à enrichir, quantitativement et qualitativement, l’environnement verbal de l’enfant. Ils visent aussi à accroître sa motivation à communiquer.

L’éducation inclusive pour l’accueil des enfants et adolescents avec une DI doit s’appuyer sur la définition d’objectifs d’apprentissage personnalisés.

Les débats de ces dix dernières années sur la scolarisation des enfants en situation de handicap se sont focalisés sur l’éducation dite « inclusive », c’est-à-dire une scolarisation en milieu ordinaire. La littérature internationale questionne ces orientations en comparant les effets résultant d’une éducation spécialisée versus ceux observés en inclusion scolaire, chez des groupes d’enfants avec besoins particuliers, et parfois avec une DI. Les bilans et les méta-analyses d’études surtout développées aux États-Unis, montrent des résultats contrastés. Plusieurs enquêtes attestent que les enfants avec une DI peuvent tirer avantage des situations inclusives, par exemple en alphabétisation ou en capacités adaptatives pour autant que soit défini pour eux un programme individualisé, poursuivant des objectifs similaires à ceux de la classe, mais adaptés pour respecter le rythme des apprentissages. Dans tous les cas, il s’agit d’éviter de faire une classe dans la classe, mais au contraire, de permettre à l’élève avec une DI de participer à toutes les activités.

Les transitions entre la scolarisation et l’accès à l’emploi sont des périodes sensibles nécessitant la continuité de l’accompagnement.

La question du passage à l’âge adulte chez les jeunes avec une DI reste mal connue et peu étudiée. Les jeunes adultes avec une DI se trouvent en effet fréquemment désavantagés par les restrictions que leur impose leur déficience. Des contraintes telles que des opportunités de participation sociale moins fréquentes, un réseau social plus limité, davantage ou plus longtemps centré sur la sphère familiale, des conditions environnementales restrictives (milieux insuffisamment adaptés, peu accessibles ou dans lesquels subsistent des préjugés), un entourage éducatif parfois porté à la surprotection, ainsi que la présence des troubles cognitifs et du comportement adaptatif, accentuent le risque de non insertion sociale et/ou d’altération de la qualité de vie à l’âge adulte. Le chemin vers l’individualisation, la consolidation de l’identité propre, la prise d’indépendance, la construction d’un réseau relationnel en dehors des proches et/ou des milieux institutionnels, le développement de compétences professionnelles, ou l’investissement dans un projet de formation ou dans la vie active peuvent s’en trouver ralenties, empêchées ou compliquées.

L’emploi en milieu ordinaire de travail reste très difficile d’accès aux personnes avec DI

Les données statistiques sont très insuffisantes pour observer comment les travailleurs et actifs avec DI se répartissent dans les différents lieux professionnels (protégés ou non). On estime cependant que les Esat « Etablissements et services d’aide par le travail » (ex centres d’aide par le travail) reçoivent environ 70 % de personnes avec une DI. Le souci de moderniser les Esat est pourtant bien présent, par exemple, pour être plus attentif aux besoins de formation des personnes accueillies et valoriser leur autonomie. En ce sens, de nombreuses expériences innovantes existent : passerelles entre établissements spécialisés et emploi en milieu ordinaire, reconnaissances des compétences des personnes (« différent et compétent »). Elles constitueraient des moyens pour faciliter l’accès des personnes au droit au travail, à condition qu’évoluent les attitudes et les comportements des partenaires impliqués dans les milieux ordinaires de travail vis-à-vis des personnes avec une DI.

La prévention des situations de négligence, maltraitance et abus implique un ensemble de mesures articulées dans une approche systémique.

Il est désormais clairement établi que les personnes avec une DI sont particulièrement exposées au phénomène de la maltraitance avec des rapports pouvant aller jusqu'à quatre fois plus de risques que pour la population générale. L’exposition des personnes avec une DI au harcèlement est elle aussi clairement établie. Le harcèlement touche toutes les tranches d’âge, mais en particulier les adolescents.
Les mesures de prévention préconisées sont de 3 ordres : prévenir l’apparition des abus, en diminuant les facteurs de risque et augmentant les facteurs de protection renforcer la capacité de l’entourage à identifier les signes d’appel, et enfin soustraire les victimes à la situation d’abus et les aider à retrouver bien-être et santé. Les abus affectent profondément, et de différentes façons, les personnes qui en sont victimes. Actuellement, les programmes thérapeutiques spécifiques destinés à prévenir ou à atténuer les conséquences psychologiques des abus chez les personnes avec une DI sont encore rares.

Déficiences intellectuelles : Principales recommandations

Recommandations d'actions :

  • Inscrire toute action dans le cadre des définitions internationales de la déficience intellectuelle, que ce soit dans les politiques publiques, les pratiques professionnelles et la recherche.
  • Mieux repérer précocement un trouble neurodéveloppemental en favorisant le repérage précoce chez les enfants « tout-venant » et en renforçant le dépistage systématique d’un trouble neurodéveloppemental lors des examens obligatoires.
  • Développer une évaluation multidimensionnelle et individualisée pour un meilleur diagnostic et un accompagnement adapté en améliorant l’évaluation des capacités intellectuelles, en complétant celle-ci par une évaluation des comportements adaptatifs, en évaluant les compétences socio-émotionnelles et les capacités cognitives et langagières. Enfin, en permettant l’accès au diagnostic étiologique génétique.
  • Développer les compétences de la personne présentant une DI tout au long de sa vie en favorisant le développement de la communication et du langage, l’acquisition de la numératie et de la littéracie, et le développement de l’autodétermination.
  • Accompagner le parcours de vie de la personne de la petite enfance à l’âge adulte en faisant la promotion du droit à l’intervention et à l’éducation précoces ainsi qu’à l’accès aux services communs de la petite enfance accessibles à tous. À l'âge adulte, en accompagnant l’accès à l’emploi et à la vie sociale et en favorisant les transitions dans les parcours de vie.
  • Améliorer l’accès aux soins et le diagnostic des pathologies somatiques grâce au dépistage et au suivi régulier des pathologies souvent associées à la DI, en développant le suivi médical de proximité et en améliorant les conditions d’accueil et de soins dans les hôpitaux et cliniques.
  • Créer des « Centres ressources déficience intellectuelle ». Ces structures rassembleraient des équipes pluridisciplinaires pour apporter une aide concrète et coordonnée qui pourrait s’inscrire tout au long du parcours de vie de la personne avec une déficience intellectuelle et de sa famille.
  • Apporter aux familles un soutien gradué, adapté et évolutif en valorisant leurs propres compétences en accompagnant l’annonce du diagnostic, en apportant un soutien adapté et en envisageant la distanciation psychologique entre la personne avec DI devenue adulte et sa famille.
  • Développer et encourager la formation sur la déficience intellectuelle pour tous les professionnels dans une perspective inclusive.

Recommandations de recherche :

  • Valider et développer des outils de diagnostic et d’évaluation de la personne
  • Mieux connaître les déficiences intellectuelles et les trajectoires des personnes
  • Mieux comprendre le développement des compétences de la personne avec DI
  • Mieux appréhender les différents aspects d’un accompagnement adapté

 

 

Documents à télécharger

Discours de Ségolène Neuville (PDF, 101.33 Ko)

Ailleurs sur le web

La synthèse de l'expertise collective
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