Les Cifre vues par un représentant associatif

Publié le : 03 octobre 2019-Mis à jour le : 03 octobre 2019

Thierry Delerce, chargé d’études et de recherche à l’association pour l'insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées (LADAPT).

Quel est le sujet de thèse de votre doctorant ?

J’ai recruté en CDD Meddy Escuriet pour une durée de 3 ans, durée habituelle d’une convention Cifre, pour mener un travail de recherche sur les représentations mentales de l’espace par des personnes cérébrolésées.
Il est rattaché à l’unité mixte de recherche (UMR) Territoires, basée à Clermont-Ferrand dont la thématique centrale de recherche est la capacité à agir des acteurs locaux, mais aussi la conception et la conduite de l’action publique dans les territoires.
Nous avons eu un premier contact à l’issue de son master Recherche de géographie à l’université Clermont Auvergne, lorsque j’étais encore directeur régional de LADAPT Auvergne-Rhône-Alpes. J’ai d’abord été très surpris d’être contacté par quelqu’un qui avait une formation de géographe : cette matière n’est guère présente dans le milieu du médico-social ! Mais son projet était à la fois très innovant et susceptible de faire évoluer les pratiques professionnelles d’accompagnement des personnes cérébrolésées.

Pourquoi avez-vous eu recours aux conventions Cifre ? Quel était l’enjeu ?

L’innovation a toujours été une préoccupation de LADAPT. Déjà, lors de sa création en 1929, les statuts prévoyaient que l’association mène des études. Cette volonté de faire évoluer les pratiques a été reprise dans son projet associatif et c’est dans ce contexte que je me suis vu confier la responsabilité de la nouvelle délégation « Études et recherche ». Ma première mission a consisté à identifier les pratiques innovantes au sein de LADAPT et à encourager les professionnels à se tourner vers l’innovation et la recherche. J’avais entendu parler des Cifre, sans trop m’y intéresser, car je pensais que cette modalité de financement des thèses était réservée aux entreprises. Ce n’est que lorsque Meddy Escuriet m’a contacté que je me suis renseigné auprès de l’Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT) pour mieux connaitre les conditions administratives et financières des conventions Cifre. Le montage de cette convention qui ancre fondamentalement la recherche au terrain m’est apparu très pertinent et collant parfaitement à la posture pragmatique et ouverte de notre association.

Parallèlement à sa thèse, quelle mission professionnelle avez-vous confiée au doctorant ?

J’ai fait le choix dès le départ de ne pas confier à Meddy Escuriet une autre mission que celle de conduire son projet de recherche. La raison principale tenait au sujet lui-même. J’étais convaincu que le travail de recherche aurait, à terme, des conséquences concrètes sur les pratiques professionnelles : le fait d’utiliser des outils nouveaux comme ceux de la cartographie devrait améliorer la capacité des personnes accompa-gnées à s’exprimer sur leur passé et aussi sur leur projet de vie.

La première année, Meddy Escuriet était plongé dans son projet de recherche, en relation constante avec le laboratoire auquel il est rattaché, mais dès la deuxième année il s’est rapproché des professionnels et des personnes accompagnées, principalement des personnes cérébrolésées. Il a fallu veiller à ce que le contact entre le doctorant et les professionnels se passe bien (ESAT Hors murs, SAMSAH, groupe d'entraide mutuelle), car bien évidemment l’arrivée d’un doctorant en géographie interroge quelque peu le fonctionnement habituel des services.

Qu’attendez-vous d’un projet de thèse ? Que va vous apporter ce travail de recherche ?

Comme je l’ai dit, j’espère que la démarche entreprise par Meddy Escuriet, les nouveaux outils qu’il est en train de tester permettront de tirer des enseignements utiles aux professionnels.

Mais l’intérêt d’une thèse va bien au-delà. Elle n’est qu’une pièce d’un ensemble plus large. De nombreux contacts pris lors de la thèse donnent naissance à d’autres projets qui sont actuellement en train de voir le jour. Et les nombreuses communications en colloques scientifiques et publications sont un réel apport en promouvant d’ailleurs la question du handicap, pas très présente en géographie.

Enfin, le recrutement d’un doctorant en Cifre est, pour une association comme LADAPT, un investissement sur l’avenir. Il vient servir les objectifs stratégiques de l’association qui veut faire évoluer ses pratiques pour répondre aux attentes nouvelles des personnes accompagnées vers une société toujours plus inclusive.

Avez-vous rencontré des difficultés ?

Lorsqu’une association dépose un dossier Cifre à l’ANRT, celui-ci est examiné par des experts, puis par le comité de sélection qui se réunit chaque mois. Le délai de réponse est en général de 3 mois. Ce délai peut paraître court, mais il est parfois très long pour des personnes qui viennent de terminer leur master et qui ont besoin de travailler. La préparation d’une thèse nécessite en général une forte motivation de la part de l’étudiant.

Une autre difficulté importante est d’ordre financier, car, contrairement aux entreprises, les associations du secteur médico-social ne peuvent pas bénéficier du crédit d’impôt recherche. Le financement qu’apporte la convention Cifre (42 000 euros sur 3 ans) ne couvre donc qu’une partie – disons le tiers – du coût global de la thèse. Il faut donc rechercher des financements complémentaires. Personnellement, j’en ai trouvé une partie auprès de l’agence régionale de santé qui a été séduite par ce projet.  

Quels conseils pourriez-vous donner à des responsables territoriaux ou associatifs intéressés par une convention Cifre ?

Pour que la thèse se passe bien, il faut que le projet soit bien réfléchi, bien posé. Il faut savoir pourquoi on le fait, sinon on met le doctorant en danger. Le rôle de l’encadrant est de veiller à ce que tout se passe bien pour le doctorant. Il a une fonction de tuteur. Il faut aussi qu’il s’assure que le directeur de thèse s’investit suffisamment. C’est d’ailleurs pour toutes ces raisons que l’ANRT a mis en place une procédure de suivi systématique qui prévoit l’établissement de rapports annuels, tant de la part du professionnel encadrant que du directeur de thèse.

Selon moi, le recrutement d’un doctorant pour 3 ans en convention Cifre doit s’inscrire dans une stratégie plus large de l’association. Il est la traduction concrète de la volonté de la direction de se donner les moyens de faire face aux défis à venir d’une société inclusive. C’est un investissement pour l’avenir et un moyen pour l’association de se rapprocher du monde de la recherche que bien souvent elle ne connaît pas.

 

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