Reconstruire son identité sociale en période de prégreffe

Publié le : 28 juin 2021-Mis à jour le : 29 juin 2021

Considérant que la greffe ne se réduit pas à une modification corporelle ou psychologique, mais représente un évènement social qui implique de nouvelles façons de penser et de se comporter, cette recherche soutenue par la CNSA visait à comprendre les conditions sociales en fonction desquelles les patients admettent ou non la greffe comme le dernier recours thérapeutique à leur disposition et participent à ce projet radical de transformation collective de soi. Les auteurs font l’hypothèse que l’expérience de la maladie rare varie sensiblement selon la temporalité de la maladie, l’identité sociale, familiale et professionnelle de la personne ou sa socialisation anticipée à la greffe. 59 entretiens ont été conduits auprès de 30 personnes atteintes de mucoviscidose, 25 atteintes de fibrose pulmonaire idiopathique, et 4 auprès de professionnels (deux psychologues, une pneumologue et une coordinatrice de greffe) ; des observations à l’hôpital, dans différents contextes, ont également été réalisées.

Les auteurs soulignent d’abord l’ambivalence relative au fait d’être porteur d’une maladie rare peu visible socialement. Cela autorise les personnes à une certaine marge de manoeuvre dans la manière de se définir socialement – choisir de révéler ou de taire la maladie – qui donne lieu à des tentatives quotidiennes de normalisation de leur conduite de plus en plus difficiles à assumer en période prégreffe. Le cumul des inégalités sociales joue par ailleurs un rôle central dans la gestion du rapport à la norme des personnes et dans la possibilité de faire « comme si » elles n’étaient pas « malades ». Par exemple, l’accès au travail ou le maintien d’une activité professionnelle dépend certes des tactiques de dissimulation des symptômes, mais aussi du type d’activité exercée (plus ou moins physique) et de la position sociale de la personne.
Ensuite, la perception du diagnostic met en jeu un sentiment de reconnaissance sociale ou au contraire d’injustice sociale. En effet, le diagnostic ne sert pas seulement à nommer un état physiologique, il s’accompagne de la mise en place de tout un dispositif social. Par exemple le caractère idiopathique (c.-à-d. « dont on ne connait pas la cause ») d’un diagnostic de fibrose pulmonaire fait l’effet d’une déconsidération sociale pour les personnes qui estiment que leur maladie est liée à une exposition professionnelle. Le diagnostic n’amène alors ni reconnaissance ni rétribution comme dans le cas d’une maladie professionnelle ; le stéréotype de genre de la virilité, à partir duquel des hommes se sont construits socialement et dans lequel la vulnérabilité a peu de place, les amène à vivre très difficilement la maladie, car elle remet en cause leur identité de personne non malade, mais aussi celle de figure d’autorité.

Enfin, la recherche montre que la relation thérapeutique elle-même n’est pas détachée d’enjeux discriminatoires. Les conditions et les comportements requis pour qu’une personne soit dite « greffable » ne sont pas uniquement biologiques ou anatomiques, elles sont également sociales. La période prégreffe est une entreprise collective dans laquelle la société va former et transformer les personnes. Ainsi, faire accepter la greffe aux personnes revient non seulement à leur délivrer un certain nombre d’informations relatives à leur état de santé et à la pratique chirurgicale de la transplantation, mais aussi à leur faire admettre un certain sens des priorités dans lequel la maladie et la transplantation pulmonaire ont une place centrale.

Pour plus d’information sur ce projet

  • Le rapport de recherche est consultable sur demande auprès de Michel Castra (voir la partie Contact ci-dessous)

À propos du centre de recherche « Individus, Épreuves, Sociétés »

Le centre de recherches « Individus, Épreuves, Sociétés » (CeRIES) est une unité labellisée de recherche (ULR 3589) de l’université de Lille et un laboratoire constitutif de l’école doctorale SESAM (ED 73). Il rassemble, au sein de cette université, des enseignants-chercheurs, des doctorants et des postdoctorants en sociologie. Les activités de recherche du centre s’organisent autour de trois axes thématiques :

  • Âge, entourages : étude des âges de la vie (effets du vieillissement, socialisation juvénile, sociabilité enfantine), des situations de dépendance ou de handicap, mais aussi de l’action des proches et des professionnels ayant la charge de ces publics. Dans cette perspective, les chercheurs accordent une attention particulière à la redéfinition des rapports intergénérationnels, aux discriminations par l’âge et aux effets de l’injonction à l’autonomie, qui pèsent à la fois sur les personnes en situation de handicap ou dépendantes et sur leur entourage direct ;
  • Santé, vulnérabilités : analyse des dimensions sociales de la maladie et des questions sanitaires. Les dispositifs médicaux (dépistage médical, prélèvement d’organes, greffes...) et les pratiques professionnelles sont au coeur des recherches. De même, plusieurs travaux se situent au croisement de la santé et des vulnérabilités : c’est notamment le cas des recherches qui portent sur les enfants pauvres, sur les personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer ou encore sur les soins palliatifs ;
  • Villes, citoyenneté : des travaux mettent l’accent sur les transformations historiques et les formes contemporaines de la participation politique et citoyenne. Ces recherches, qui portent à la fois sur des terrains proches et lointains (Brésil, Canada), visent à saisir les métamorphoses du fait démocratique en conjuguant une perspective diachronique et des enquêtes ancrées sur un territoire donné ou centrées sur un enjeu précis (gestion de l’eau, participation aux dispositifs de la politique de la ville...), des enquêtes qui structurent minutieusement les différentes facettes de l’implication citoyenne ou de « l’infrapolitique » contemporaines.

Contact

Michel Castra
Professeur des universités en sociologie – université de Lille
Directeur du CeRIES
Contact : michel.castra@univ-lille.fr

Référence du projet n° 228 Appel à projets « Sciences humaines et sociales & maladies rares » (2015) soutenu par la CNSA – Fondation Maladies rare (FMR). Titre : Situations de handicap et discrimination dans le milieu professionnel et la vie quotidienne en période prégreffe. Étude comparative entre deux maladies pulmonaires rares : la mucoviscidose et la Fibrose pulmonaire idiopathique (M. Castra).

Documents à télécharger

Fiche résultat de recherche : Reconstruire son identité sociale en période de prégreffe (PDF, 166.56 Ko)Poster : Reconstruire son identité sociale en période de prégreffe (PDF, 1.39 Mo)
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